Ce projet a été présenté au centre d'artistes CIRCA art actuel du 16 janvier au 1 mars 2025. L’étude de la matérialité et de la trace du processus qui alimente la démarche de Chloé Desjardins depuis plusieurs années se décline dans l’exposition formes par un détournement de l’objet représenté, exploitant le glissement de l’utilitaire à l’artistique. Lorsque Chloé Desjardins reproduit des emballages, des outils, des matériaux bruts, du mobilier et des éléments architecturaux, c’est une manière pour elle de ramener dans la sphère du visible le contexte de production et les structures de présentation des œuvres d’art, habituellement dissimulés ou inaccessibles. Pour l’exposition, elle a porté son attention sur des éléments ayant la fonction de tenir, de retenir ou de maintenir. Leur utilité ? Exercer une force de tension qui sert à empêcher tout déplacement ou mouvement, mais aussi à rendre statique ou à fixer. Ce sont ici des serre-joints, là des pentures, ailleurs des cales de porte et des isolateurs électriques. Si les deux premiers ont patiemment été façonnés à la main, les deux autres ont été moulés. Parce que faites en porcelaine, ces œuvres opèrent un renversement de notre perception des matériaux. Dans le travail de l’artiste, la fragilité et la délicatesse de la porcelaine interfèrent avec la résistance et la solidité de l’objet représenté. La vie de ces objets frôle en apparence l’anecdotique : certains sont facilement oubliés parce que surannés, d’autres sont tellement communs qu’ils en deviennent invisibles. D’ailleurs, le traitement plastique des œuvres a d’autant plus son importance qu’il accentue l’aspect « oublié » de l’objet ou encore la nature invisible du processus. En effet, l’argile utilisée n’est pas colorée. Elle possède naturellement cette blancheur légèrement grisâtre, évoquant la couleur du béton, du gypse, du ciment, du plâtre, etc. En même temps, il s’en dégage un effet spectral qui appelle l’évanescence, non de l’objet, mais de sa fonction utilitaire. Puis la disparition fait place à l’apparition. L’objet est démultiplié; il se conjugue au pluriel, donnant naissance à un motif, à une séquence, à un paysage. Ce sont quatre paysages de sculptures qui rehaussent les murs de la galerie selon un agencement rigoureux. Plus précisément, on reconnaît des bas-reliefs, constitués non pas d’ornementations ou d’iconographies traditionnelles, mais d’objets de production. L’absurde de la situation, indéniablement ironique, saute aux yeux ! C’est dire à quel point l’artiste aime jouer avec les contradictions. D’ailleurs, outre la présence des « bas-reliefs », de nouveaux murs modifient l’espace de diffusion. Ils ne sont pas en gypse, mais en carton. Quoi de plus paradoxal que de jouer sur la porosité des frontières délimitant la fragilité et le solide, l’éphémère et le permanent ! L’artiste le fait dans une poésie visuelle presque minimaliste. Il se dégage de l’ensemble une abstraction à la fois de la forme et de l’identité des objets, qui nous place dans une zone d’incertitude et appelle à la lenteur. Dès lors, Chloé Desjardins nous offre un espace pour penser la valeur personnelle et symbolique des objets et leur potentiel évocateur dans une mise en récit des contrastes. -Texte d’Émilie Granjon
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